Saint-Mauront
une histoire de mouvements
Moine, puis abbé de Saint-Victor et évêque de Marseille, Saint-Mauront est mort en 782 après avoir longtemps défendu auprès de Charlemagne les privilèges de l’abbaye et de la ville. Le sarcophage de Julia Quintina qui se trouve dans la crypte de l’abbaye fortifiée de Saint-Victor, a été utilisé pour recevoir sa dépouille et sert de retable à l’autel de la chapelle qui lui est consacrée. Une autre chapelle Saint-Mauront aurait plus tard été érigée au nord de Marseille dans la campagne qui porte aujourd’hui son nom. On retrouve aussi l’évocation d’un petit Chemin de Croix qui lui aurait été dédié sur la butte qui sépare la paroisse de celle de la Belle de Mai… Pendant des siècles, les paysages de collines de ce territoire sont restés immuables : des pauvres masures dispersées au milieu de maigres pâtures et des vignes. Chacune avait sa basse-cour, trois ou quatre chèvres et des moutons, parfois une ou deux vaches qui vaquaient en toute liberté sur les sentiers. On apercevait aussi quelques rares et magnifiques bastides qui appartenaient à des propriétaires fortunés. Seules les parcelles des Augustins réformés et de l’évêque avaient fière allure, étant entretenues d’une main de fer par les intendants et une multitude de journaliers.
Toutes les productions de ces terres revenaient d’une manière ou d’une autre à l’Eglise ou à la noblesse et, après la révolution, aux bourgeois les plus fortunés et aux grands commis de l’Etat. 1789 est venu bouleverser cette belle stabilité. Les lois sur la propriété privée ont entrainé la mise en clôture des sols, empêchant les animaux de divaguer à leur guise. Des milliers de journaliers ont vendu leurs bêtes et abandonné le travail de la terre qui ne suffisait plus à les nourrir. L’exode vers les faubourgs a été massif, mais il n’y avait pas assez de travail et les agglomérations étaient incapables de tous les accueillir. Les guerres napoléoniennes ont résorbé une partie de ce surplus de main d’œuvre, le reste a survécu comme il pouvait dans la misère. Les campagnes à proximité de Marseille étaient relativement protégées parce que ses bourgeois venaient y rechercher la tranquillité et goûter aux plaisirs de leurs bastides. Il faut attendre les années 1830 - 1848 pour qu’ils s’aperçoivent enfin que les choses étaient en train de changer. Les progrès techniques et la découverte de nouvelles formes d’énergie transforment en profondeur l’ensemble du système économique et offrent de belles perspectives de profits pour les entrepreneurs.
L'histoire de Saint- Mauront par Dominique Cier.
Situé entre Euroméditerranée, le port et la friche industrielle, dans cette partie de la ville subsistent les constructions symboles de l’activité ouvrière et du travail portuaire. Marseille Aménagement poursuit le projet de résorption de l’habitat indigne dans ce quartier où les équipements publics et les espaces verts font cruellement défaut, où le renouvellement urbain ambitionne de le transformer en véritable quartier de centre-ville, avec la construction de plus de 900 logements (dont 300 logements sociaux), la réhabilitation de 260 autres logements sociaux, le re-calibrage de rues existantes, la création de nouvelles artères, l’aménagement d’espaces publics et l’extension des équipements publics de proximité, centre social, plateau sportif, crèche, espace - lecture etc.
une histoire de mouvements
Moine, puis abbé de Saint-Victor et évêque de Marseille, Saint-Mauront est mort en 782 après avoir longtemps défendu auprès de Charlemagne les privilèges de l’abbaye et de la ville. Le sarcophage de Julia Quintina qui se trouve dans la crypte de l’abbaye fortifiée de Saint-Victor, a été utilisé pour recevoir sa dépouille et sert de retable à l’autel de la chapelle qui lui est consacrée. Une autre chapelle Saint-Mauront aurait plus tard été érigée au nord de Marseille dans la campagne qui porte aujourd’hui son nom. On retrouve aussi l’évocation d’un petit Chemin de Croix qui lui aurait été dédié sur la butte qui sépare la paroisse de celle de la Belle de Mai… Pendant des siècles, les paysages de collines de ce territoire sont restés immuables : des pauvres masures dispersées au milieu de maigres pâtures et des vignes. Chacune avait sa basse-cour, trois ou quatre chèvres et des moutons, parfois une ou deux vaches qui vaquaient en toute liberté sur les sentiers. On apercevait aussi quelques rares et magnifiques bastides qui appartenaient à des propriétaires fortunés. Seules les parcelles des Augustins réformés et de l’évêque avaient fière allure, étant entretenues d’une main de fer par les intendants et une multitude de journaliers.
Toutes les productions de ces terres revenaient d’une manière ou d’une autre à l’Eglise ou à la noblesse et, après la révolution, aux bourgeois les plus fortunés et aux grands commis de l’Etat. 1789 est venu bouleverser cette belle stabilité. Les lois sur la propriété privée ont entrainé la mise en clôture des sols, empêchant les animaux de divaguer à leur guise. Des milliers de journaliers ont vendu leurs bêtes et abandonné le travail de la terre qui ne suffisait plus à les nourrir. L’exode vers les faubourgs a été massif, mais il n’y avait pas assez de travail et les agglomérations étaient incapables de tous les accueillir. Les guerres napoléoniennes ont résorbé une partie de ce surplus de main d’œuvre, le reste a survécu comme il pouvait dans la misère. Les campagnes à proximité de Marseille étaient relativement protégées parce que ses bourgeois venaient y rechercher la tranquillité et goûter aux plaisirs de leurs bastides. Il faut attendre les années 1830 - 1848 pour qu’ils s’aperçoivent enfin que les choses étaient en train de changer. Les progrès techniques et la découverte de nouvelles formes d’énergie transforment en profondeur l’ensemble du système économique et offrent de belles perspectives de profits pour les entrepreneurs.
Le boulevard
d’Orléans (aujourd’hui National) est tracé entre 1830 et 1847 sous la monarchie
de juillet pour faciliter les communications. Le développement industriel et
commercial est spectaculaire. En l’espace d’une génération, on passe de
l’artisanat à la fabrique puis à l’usine. En raison de leur voisinage avec le
centre ville, les quartiers de Saint Mauront et de la Belle de Mai, traits
d’union entre la gare et le port, attirent les entreprises et de nouvelles
populations. D’abord des journaliers agricoles, des éleveurs de moutons des
jardiniers et des artisans traditionnels puis, à partir de 1860, des immigrants
originaires d’Italie, du Piedmont ou de la Toscane. Saint-Mauront devient un
îlot villageois important.
Marseille est une ville ouvrière et ses habitants
participent à toutes les conquêtes sociales jusqu’à la veille de la Deuxième
Guerre Mondiale. Après la libération vient le temps de la reconstruction et des
sacrifices. En 1962, il faut accueillir les rapatriés d’Algérie. Le Parc
Bellevue fait partie de ces grands ensembles immobiliers bâtis à la hâte et qui
se dégradent assez rapidement. L’autoroute en surplomb et la passerelle
achèvent de défigurer le village qui n’est plus qu’un quartier de passage et de
première installation pour les flux migratoires, ceux du Maghreb, puis des
Comores et aujourd’hui du Cap-Vert. L’habitat est très délabré, voire insalubre.
La proximité des programmes d’Euro méditerranée favorise cependant la réhabilitation de nombreux équipements et la construction de logements neufs à usage locatif ou en accès à la propriété.
Un grand boulevard devrait bientôt remplacer cette partie d’autoroute et remodeler les circulations. Il faudra sans doute encore un peu de temps, mais Saint-Mauront va revivre.
La proximité des programmes d’Euro méditerranée favorise cependant la réhabilitation de nombreux équipements et la construction de logements neufs à usage locatif ou en accès à la propriété.
Un grand boulevard devrait bientôt remplacer cette partie d’autoroute et remodeler les circulations. Il faudra sans doute encore un peu de temps, mais Saint-Mauront va revivre.
L'histoire de Saint- Mauront par Dominique Cier.
La Coordination Patrimoines et Créations des 2-3e sous l'autopont de St Mauront. |
Situé entre Euroméditerranée, le port et la friche industrielle, dans cette partie de la ville subsistent les constructions symboles de l’activité ouvrière et du travail portuaire. Marseille Aménagement poursuit le projet de résorption de l’habitat indigne dans ce quartier où les équipements publics et les espaces verts font cruellement défaut, où le renouvellement urbain ambitionne de le transformer en véritable quartier de centre-ville, avec la construction de plus de 900 logements (dont 300 logements sociaux), la réhabilitation de 260 autres logements sociaux, le re-calibrage de rues existantes, la création de nouvelles artères, l’aménagement d’espaces publics et l’extension des équipements publics de proximité, centre social, plateau sportif, crèche, espace - lecture etc.
"Sous l'autoroute la danse" Isabelle Cavoit et Bernard Menaut pour la Coordination Patrimoines et Créations 2-3e. |
Saint-Mauront est quoi qu'il arrive aujourd'hui séparé en deux par le pont de l’autoroute qui contribue à son enclavement et qui influence certainement radicalement les formes et les usages de ce quartier.
Les différentes opérations, requalification, réhabilitation, OPAH, PRI pose la question du traitement de la diversité culturelle : se réalise t-elle au détriment de la diversité sociale et culturelle et dans quelle mesure prend t-elle en compte les usages et les relations existantes, finalement que propose t-elle ?
Ce ballet
urbain ainsi que la mixité sociale souhaitée nous semble propice au
développement d’une action
culturelle autour de la notion de logement, celui des habitants de ce quartier,
celui de la Danse et par extension celui du corps des danseurs. Le
corps n’est pas le seul médium de la danse, il est aussi mental,
spirituel, il a une mémoire. Le geste se loge aussi dans la
tête du danseur.
Comme chaque année, le partenaire de Quartiers Libres est une structure culturelle d'envergure, cette année il s'agit de KLAP, maison pour la danse... Nous avons décidé d'aborder ce quartier sous l'angle du mouvement, au sens large du terme...
Posons le cadre que nous exploitons avec ce RÉCIT SUR LES MOUVEMENTS de Dominique Cier...
Voila
presque vingt ans que je n’étais pas retourné à Saint-Mauront. Je n’ai rien
reconnu, ni les rues, ni les commerces, ni les gens. Le quartier n’est plus
qu’un vaste chantier, les immeubles en construction côtoient des squats et des
pavillons délabrés, les rideaux des magasins semblent définitivement baissés,
les trottoirs et les chaussées sont défoncés, les enfants ne jouent pas dans
les rues ni dans les impasses, il n’y a plus rien qui puisse retenir mon
regard. J’ai d’abord une terrible envie de fuir et je me demande bien pourquoi
nous avons décidé de travailler sur ce territoire. Il existe des secteurs
beaucoup plus attrayants et qui ont d’emblée des tas de choses à nous dire. En
même temps, ce serait trop facile de renoncer dès qu’on est tenu à distance ou
parce qu’on ne ressent pas le moindre plaisir. Prenons au moins cette
expérience comme un défi. Qu’est-ce que je suis en mesure d’observer ?
Qu’on
a ripoliné le Parc Bellevue, mais que la paupérisation s’est poursuivie, que
les gens sont pressés d’arriver ou de s’en aller, que c’est un espace qu’on
traverse sans jamais s’arrêter, un simple lieu de passage, de transit, d’immigration,
d’exil, de solitude, de pauvreté, d’exclusion. C’est ce que semblent exprimer
tous ces gens. Un moment, je devine leur colère, j’espère un acte de révolte. Et
soudain, je pense à ces quelques mois passés dans un squat de la Cabucelle avec
des clandestins. Ils étaient joyeux, ils avaient le sens de la fête et de la
solidarité. Déprimés, les travailleurs sociaux ne pouvaient pas grand-chose pour eux, mais ils repartaient
tous le ventre plein. J’étais venu pour les aider et je me suis aperçu qu’ils
m’avaient réconforté.
J’avais des idées toutes faites sur leur histoire et sur
celle du quartier et je suis sans doute en train de reproduire la même erreur à
Saint-Mauront. Il faut être capable d’oublier provisoirement ses préjugés.
C’est peut être ce qu’ils ont connu de meilleur jusqu’à maintenant. Ils ont donc
un regard neuf. Ils sont en transition. Ils se déplacent, mais ils ont une
certaine manière de se mouvoir, des trajectoires, des comportements singuliers,
des gestes et des habitudes étranges… Ce qui caractérise leur façon d’être, c’est
ce mouvement presque perpétuel, cette agitation, ce rythme, c’est la vie qui grouille.
Il y aurait bien des façons d’interroger leur mouvement. Il y a d’abord le
regard de l’anatomiste. On peut aussi concevoir le mouvement comme expression
sociale : les codes corporels sont révélateurs d’appartenance sociale et
l’expression de toutes les passions de l’âme. On peut encore observer les corps
au travail et faire en sorte que ses représentations deviennent des motifs
artistiques ou saisir leur mouvement comme instabilité et renouvellement
esthétique. On peut enfin y participer d’une manière ou d’une autre sans même
savoir ni imaginer où il nous entraîne et tenter de conserver un regard poétique
sur cette rencontre…
Dire que leur mouvement est l’expression même de la vie a une résonance particulière à Saint-Mauront qui est, socialement et culturellement, comme un passage à gué. Le mouvement est la clé qui ouvre à tous les apprentissages. Nous savons en effet que les enfants apprennent en bougeant, en jouant et en interagissant avec les autres et avec les matières concrètes et réelles de leur environnement. Lorsqu’ils ne sont pas autorisés à bouger, leur curiosité, leur intérêt et leur désir d’apprendre leur deviennent moins accessibles. Si ce processus est plus lent, il en est de même pour les adultes qui doivent aussi apprivoiser leur espace.
A
force, le mouvement ne se confond pas avec la trajectoire ni avec la distance
parcourue. La distance est infiniment divisible et mesurable, alors que le
mouvement ne se divise pas sans changer de nature. On ne peut pas le
reconstituer avec des positions géographiques ou des instants dans le temps. On
a beau rapprocher deux positions ou deux instants, le mouvement se fera
toujours dans l’intervalle, entre les deux. Chaque mouvement a donc sa propre
durée qualitative que nous reconstituons par l’illusion d’une succession
d’images. En réalité, il est passage réglé d’une forme à une autre,
c’est-à-dire un ordre des poses et des instants privilégiés comme dans une
danse. Car si notre regard se fait persistant, ce qu’il observe change aussi de
nature, il englobe une autre matérialité, des présences au monde, des
singularités. Cet ensemble de mouvements a une certaine logique que je discerne
ou que j’imagine. J’ai devant moi le spectacle d’une chorégraphie. Le geste de
nettoyer une vitre ne dit qu’une fonction, mais s’il est dansé il raconte le
monde. Le corps expressif l’est bien davantage quand il danse. La différence
entre le mouvement naturel spontané et le mouvement dansé est de nature plus
que de degré dans l’expressivité.
Les mouvements utilitaires n’expriment que
des significations relativement pauvres, alors que les danseurs saturent leur
corps de sens multiples et nous offrent une histoire. Mais c’est mon regard ici
qui l’invente. Ma conscience peut voyager à l’intérieur des corps. C’est dans
le but de construire une carte de cet espace interne, non pas comme un miroir qui
reflète un paysage, mais comme une topographie de trajets et d’énergies qui
illustrent la société. Cette conscience du corps dans le contact à l’autre
implique que l’autre vive la même expérience. Ce contact n’est pas que
physique. Le mouvement n’est qu’une surface couvrant des temps entiers d’existence
et de pratiques, et c’est tout cela qui compose les contenus inconscients qui
se transmettent dans l’osmose des corps. La fusion est double, d’abord entre la
conscience et le corps, puis entre plusieurs corps. Elle n’implique pas la
perte de nos propres singularités puisque chaque corps ne reçoit et n’émet de
l’énergie que selon ce qui lui convient le mieux de l’autre corps. Il y a des
corps qui s’accordent mieux que d’autres.
Quand j’observe ces personnes qui me sont étrangères, je peux dire que leurs gestes se prolongent au-delà de leur peau. Mais si c’est mon regard qui fait ce travail, comment parler d’images concrètes ou de chorégraphie qui ne sont pour personne et ne s’adressent à personne ? Au commencement, je n’ai que des mouvements appelés images pour les distinguer de tout ce qu’ils ne sont pas encore dans mon imagination. L’ensemble des mouvements, des mots, des actions et des réactions est lumière qui se diffuse, qui se propage sans résistance et sans déperdition. C’est que la matière est lumière. Si elle ne nous apparait pas, c’est parce que la lumière n’est pas encore réfléchie ni arrêtée, donc pas révélée. Mais l’œil est dans les choses, dans les images lumineuses en elles-mêmes. Comme le dit Bergson, « la photographie, si photographie il y a, est déjà prise, déjà tirée, dans l’intérieur même des choses et pour tous les points de l’espace… »
Entre Quartiers Libres 2015 et la restitution-exposition de Quartiers Libres 2014 au Centre de Conservation et de Ressources du MuCEM, Dominique Cier et Driss Aroussi ont initié une action avec un groupe de jeunes mamans, leurs enfants, le concours de Dominique Leca et d'Anna Pauchet de la Maison Pour Tous Panier-Joliette. Il en résulte des discussions, des anecdotes, des souvenirs, évidemment des ressentis divers mais aussi une sélection d'objets et des livres qui serviront de base à l'écriture collaborative d'un conte dont le sujet porte sur le quartier Saint-Mauront à (re)découvrir avec pour titre : "La petite fille au sourire écarlate" et que vous lirez ci-dessous...
A la suite de ces premiers ateliers Dominique Cier a imaginé les premières lignes d'une nouvelle histoire de Saint-Mauront. Ce sont les premiers mots de cette écriture envisagée à plusieurs mains, des petites et des grandes, que vous trouverez ci-dessous au fil de nos ateliers...
" LA PETITE FILLE AU SOURIRE ÉCARLATE "
" LA PETITE FILLE AU SOURIRE ÉCARLATE "
En
recevant la lettre de l’huissier, Simon avait senti son cœur éclater. A cette
heure du jour, il n’y avait jamais personne dans sa librairie. Il se renfonça
dans son fauteuil, mais fut incapable de lire. Le moment tant redouté était
arrivé. Il était expulsé. Tous les autres commerçants et les locataires avaient
sans doute reçu le même courrier, mais ils allaient rebondir. Leur vie
continuerait d’une manière ou d’une autre. Mais pas la sienne. Cette lettre
allait mettre fin à son existence. Il resta prostré toute la journée jusqu’à la
nuit. Il entendait monter les voix derrière sa porte, comme si rien n’avait
changé. Les anciens avaient l’habitude de s’asseoir devant les seuils, les
vieilles d’y faire leurs courses en trainant la jambe et, après l’école, les
enfants jouaient sur les trottoirs et, ce jour-là, tout était pourtant comme
d’habitude. Lorsque l’ombre des immeubles s’allongeait à mesure que le soir
tombait, envahissant peu à peu le boulevard National où l’on commençait
d’allumer les lampadaires, tout le monde regagnait son gîte. Les habitants se
découpaient en noir sur le fond lugubre du ciel, puis les rues se vidaient
jusqu’à l’aube.
Arrivant à 7 heures, hiver comme été, chaque jour et chaque
année pendant presque un demi siècle, Simon enlevait sa veste ou sa jaquette et
enfilait un long tablier gris informe qui lui descendait jusqu’aux talons. Son
éternel plumeau sous le bras, il scrutait avec une sagacité myope les
profondeurs de ses bibliothèques. Ses yeux, derrière les verres brillants des
lunettes, avaient en miniature les rondeurs de sa tête. Ils étaient toujours
sur le qui-vive Comme pour rattraper le temps perdu de ses moments de
somnolence. Il marchait, la tête secouée d’un mouvement mécanique et s’avançait
vers la première étagère, examinait chaque ouvrage de haut en bas, hochait la
tête d’un air connaisseur avant de brandir son arme : le plumeau. Évidemment,
il lisait énormément. Toutes les œuvres ne l’avaient pas intéressé, mais il se
sentait malgré lui attaché à certaines par un lien secret. Aucun grain de
poussière ne souillait jamais « Bon appétit, monsieur lapin ! »
dont il avait plusieurs exemplaires et il avait des soins particuliers pour
« L’élégance du hérisson », l’une de ses dernières acquisitions qui
racontait la vie quotidienne d’une concierge lettrée. Mais les autres ouvrages
n’en étaient pas pour autant négligés et la poussière n’avait sur eux aucune
emprise.
Simon était célibataire. La première fois qu’on le voyait, on le sentait un peu distant et même peu accommodant avec ses clients, comme s’il était contrarié à l’idée de céder un seul de ses livres. Il avait donc mené une vie idéale, seul jour et nuit dans sa librairie comme il devrait désormais le faire dans son appartement. A quoi rêvait-il jour après jour ? On a peine à croire que par ses lectures prodigieuses il cherchait le moins du monde à rompre son isolement. Il paraissait au contraire aimer la solitude pour elle-même et il avait une peur constante des intrus comme des clients.
Les
habitants de la cité Bellevue se désintéressaient complètement de ceux des rues
avoisinantes et réciproquement. Ils semblaient engloutis par les ombres des
immenses façades et ressemblaient à ces peuples oubliés et qui se rappellent à
vous lorsque de pénibles faits-divers les ramènent à la lumière. De toute
façon, Simon ne connaissait personne. Il partait tôt le matin et rentrait tard
le soir dans son appartement. Il avait vécu toutes ces années comme un automate
et il en serait probablement toujours ainsi…
La
librairie allait être détruite pour laisser la place à un immeuble de bureaux. Il
lui était impossible d’imaginer qu’il puisse simplement détruire ou abandonner
son fonds littéraire. Aussi, pendant plusieurs mois avant cette date fatidique,
Simon avait entassé les collections dans l’appartement qu’il occupait au-dessus
du commissariat de la cité Félix Pyat et ses trois pièces avaient rapidement
été encombrées. Il utilisait une vieille luge pour tirer ses tombereaux de
livres et il essayait d’être le plus discret possible.
Personne ne songerait à voler son trésor, mais l’administration judiciaire pourrait considérer comme suspect un citoyen qui possédait autant de livres. N’était-ce pas le signe d’une personnalité perturbée ? Il avait aménagé des galeries étroites pour passer de l’une à l’autre et il était encore capable de retrouver une œuvre même confidentielle dans la grande histoire de la littérature. A force d’entasser, les galeries devinrent des souterrains et l’accès à la salle de bains ou aux toilettes se transforma en expédition. Finalement, Simon dormait dans un hamac qu’il avait suspendu à l’extrémité de la cuisine. Il somnolait, mais il n’avait pas une seule fois laissé échapper le plumeau avec lequel il époussetait régulièrement ses livres.
Personne ne songerait à voler son trésor, mais l’administration judiciaire pourrait considérer comme suspect un citoyen qui possédait autant de livres. N’était-ce pas le signe d’une personnalité perturbée ? Il avait aménagé des galeries étroites pour passer de l’une à l’autre et il était encore capable de retrouver une œuvre même confidentielle dans la grande histoire de la littérature. A force d’entasser, les galeries devinrent des souterrains et l’accès à la salle de bains ou aux toilettes se transforma en expédition. Finalement, Simon dormait dans un hamac qu’il avait suspendu à l’extrémité de la cuisine. Il somnolait, mais il n’avait pas une seule fois laissé échapper le plumeau avec lequel il époussetait régulièrement ses livres.
Cela
se produisit le jour de la cent trente septième expédition de Simon jusqu’à son
domicile. Il arrivait à la lisière de la cité, attendant le meilleur moment
pour s’élancer sans être vu en terrain découvert, lorsqu’il aperçut soudain
deux frêles silhouettes qui se dirigeaient vers lui. Celles d’une jeune femme
accompagnée d’une toute petite fille. Il aurait voulu changer de direction et
s’éloigner d’un pas rapide, aussi léger que celui d’un oiseau, mais la
minuscule silhouette en robe écarlate se détachait dans un paysage sombre comme
un rubis dans un écrin.
A
l’horizon s’élevaient les sinistres immeubles de la cité Bellevue qu’un pouvoir
magique semblait avoir soulevés de terre. Même aux plus beaux jours de l’été,
lorsque le reste du ciel était pur, leurs toits demeuraient cachés dans les
nuages. A cet instant pourtant, aucun nuage ne voilait le ciel au-dessus des
toits.
-
Où sont les nuages ? ne put s’empêcher de demander Simon.
-
Quels nuages ? s’étonna la jeune femme qui tenait la petite fille par la
main.
Simon
n’avait pas découvert sans tristesse que les adultes n’en savent pas
nécessairement plus long que les enfants et il se tourna vers la petite fille.
Fuchsia
– car c’était son nom – lui tendit une petite pelle bleue comme un cadeau. Elle
considéra Simon avec un sourire si éblouissant qu’il en fut stupéfait. Un tel
bouleversement était-il possible ?
Brusquement, son théâtre d’ombres était
mort et il lui devint impossible d’y retourner. Il ne ressentait plus aucune
nostalgie de ce qu’il avait vécu et il tournait le dos aux rayons de poussière
qui dansaient sur les choses d’autrefois sans éprouver ce sentiment
d’irrémédiable désolation. Avec ce sourire extraordinaire, sa vie était devenue
lumineuse. Il regarda autour de lui d’un air ébahi. Les passants avaient perdu
leurs mines accablées et affichaient une légère et bienheureuse insouciance. Faisant
craquer les jointures de ses longues jambes d’araignée, il tira sa luge et se
fraya un passage à travers les grappes de passants. La rue bruissait de vie.
Des silhouettes formaient des ilots mouvants. Il y avait des gens qui parlaient
dans une langue incompréhensible, d’autres qui chantaient, d’autres qui
n’avaient plus de voix et qui étaient plaqués contre les murs, les mains
pendantes en battant stupidement la mesure. Il ne se souvenait pas d’avoir une
seule fois contemplé ainsi le bonheur des autres. Simon s’imaginait que c’était
du bonheur, mais ce n’était qu’un brouhaha de clameurs et de piétinements de la
foule qui descendait ou remontait de la bouche du métro National. Il avait
l’impression d’observer ces gens pour la première fois. Il n’avait pas la
moindre idée de ce qu’ils faisaient, ni pourquoi ils le faisaient, mais cela
n’avait aucune importance. Par la grâce du sourire d’une petite fille, les couleurs
de la vie avaient changé.
-
Pourquoi trainez-vous cette luge ?
Claironna la jeune femme qui s’appelait Nasma. Elle portait une robe évasée et elle avait des petites chaussures rouges et noires. Des chaussures de danse, peut-être prenait-elle des cours ?
Claironna la jeune femme qui s’appelait Nasma. Elle portait une robe évasée et elle avait des petites chaussures rouges et noires. Des chaussures de danse, peut-être prenait-elle des cours ?
La
conversation n’avait jamais été le fort de Simon et, pendant ce qui parut une
éternité à Nasma et Fuchsia, il regarda devant lui d’un air morne, puis leva
une main osseuse et se gratta l’oreille avant de risquer une remarque :
-
Je vais vous dire quelque chose. Vous ne comprenez pas ce qui se passe à
Saint-Mauront ? Les choses qui arrivent ? La boulangerie, l’épicerie,
la boucherie ont disparu…
-
Ca fait déjà quelques années, répondit Nasma en le considérant d’un air
perplexe.
-
Ca se passe sous nos pieds et on ne s’aperçoit de rien ?
-
Il suffit d’ouvrir les yeux. Tout bouge. Tout change.
-
Je n’ai rien vu.
En
réalité, pendant toutes ces années, il avait été complètement coupé du monde et
de ce qui s’y passait.
- Pourquoi tirez-vous cette luge ? Répéta Nasma.
- Pourquoi tirez-vous cette luge ? Répéta Nasma.
-
La librairie est fermée. Je les emporte chez moi.
-
Vous les avez tous lus ? Alors, à quoi vont-ils vous servir ? Vous
devriez les donner.
-
Tenez, je vous offre celui-ci ! s’écria Simon en lui tendant un livre d’un
geste brusque. Bon appétit, monsieur lapin ! C’est l’histoire d’un pêcheur
et d’un poisson d’or.
Il nous explique qu’il ne faut pas trop demander !
Vivre avec ce qu’on a et réaliser ce qu’on peut…
Il nous explique qu’il ne faut pas trop demander !
Vivre avec ce qu’on a et réaliser ce qu’on peut…
-
Mais quand on donne, il faut le faire de bon cœur…
Simon
se détourna. Il y avait là de quoi lui occuper l’esprit pour les jours à venir.
Ce qui le préoccupait, c’était la question de savoir pourquoi Nasma avait pris
la peine de le remarquer et de s’arrêter devant lui et pourquoi il avait
lui-même fait l’effort de bavarder avec une personne qui lui était inconnue.
Etait-ce le sourire éclatant de la petite fille ? La question lui tournait
sans fin à quelqu’un d’autre dans la tête. Pourquoi elles ? Il était tellement bouleversé par le spectacle de ses étagères dépeuplées qu’il avait éprouvé le besoin irrésistible de communiquer son désarroi à quelqu’un d’autre et c’était tombé sur Nasma et Fuchsia. Etant d’une nature exceptionnellement taciturne, il lui avait été difficile d’échanger ces quelques phrases et il avait été le premier surpris, non seulement d’avoir réussi à décharger son cœur, mais de l’avoir fait avec tant de célérité.
Au
retour, lorsqu’il s’engagea dans la rue Félix Pyat avec sa luge pour rejoindre
le boulevard National, il prit conscience que son humeur avait complètement
changée. Encore imprégné de solitude, il avait l’impression que son esprit
s’était élargi et laissait déferler un flot d’images et de sentiments étranges,
comme dans un déversoir. C’était tout ce qu’il avait emmagasiné pendant sa
triste existence qui lui revenait.
A SUIVRE...
En
arrivant chez lui, Simon était dans un état second. Il repensait au sourire
écarlate de Fuchsia. Ce sourire qui ne le quittait plus, balayait, telle une
vague d’espoir gigantesque, l’éternelle
lassitude qui l’avait accompagné ces dernières années. La multitude d’images
maussades qui résumait son existence était en train de se consumer définitivement.
Cette douce violence esquisse le rendait heureux. Il n’avait jamais ressenti un
tel bien-être.
En
rangeant ses livres, le regard de Simon se posa sur une vieille figurine de son
enfance. C’était un petit personnage recouvert d’un grand chapeau avec lequel
il avait joué pendant des années. Il avait toujours été là, sur cette étagère,
mais jamais il ne l’avait vraiment vu. Un éclair illumina son esprit. Il prit
conscience de cette temporalité irrémédiable. Le temps de son existence s’était
accéléré d’un coup. Tout lui paraissait évident.
Il lui fallait rendre à l’humanité toute la grâce qui venait de le frapper de plein fouet. Et la vue de ce petit jouet le poussait à agir très vite. Il était déjà vieux. Sa jeunesse était loin derrière. Aurait-il le temps d’offrir à tous ces êtres, une offrande aussi divine que celle qu’il venait de recevoir ?
Il lui fallait rendre à l’humanité toute la grâce qui venait de le frapper de plein fouet. Et la vue de ce petit jouet le poussait à agir très vite. Il était déjà vieux. Sa jeunesse était loin derrière. Aurait-il le temps d’offrir à tous ces êtres, une offrande aussi divine que celle qu’il venait de recevoir ?
Quoiqu’il
en soit, la fermeture définitive de sa bibliothèque devenait une chance
irrémédiable. Il n’allait pas garder tous les livres chez
lui, pour lui. Ou plutôt si, il allait garder tous les livres chez lui, mais
pour les autres. Sa demeure deviendrait la maison des livres, la maison des
autres, la maison de tous ceux qui voudraient s’arrêter pour profiter de ces
milliers de mots assemblés les uns aux autres.
Il
entreprit donc de tout ranger, de tout classer, de tout nettoyer. Il mit des
fleurs, il mit des couleurs. Le petit bonhomme avait trouvé une place centrale
au milieu des livres. Il
se dépêchait, pour que dès demain, sa propre bibliothèque puisse ouvrir ses
portes. Il alla dans la rue, survolté, exalté, émerveillé
et proposa à tous les passants de venir librement chez lui pour lire, discuter,
échanger, boire le thé, et rêver.
A SUIVRE...
En recevant la lettre de l’huissier, Simon avait senti son cœur éclater. A cette heure du jour, il n’y avait jamais personne dans sa librairie. Il se renfonça dans son fauteuil, mais fut incapable de lire. Le moment tant redouté était arrivé. Il était expulsé. Tous les autres commerçants et les locataires avaient sans doute reçu le même courrier, mais ils allaient rebondir. Leur vie continuerait d’une manière ou d’une autre. Mais pas la sienne. Cette lettre allait mettre fin à son existence. Il resta prostré toute la journée jusqu’à la nuit. Il entendait monter les voix derrière sa porte, comme si rien n’avait changé. Les anciens avaient l’habitude de s’asseoir devant les seuils, les vieilles d’y faire leurs courses en trainant la jambe et, après l’école, les enfants jouaient sur les trottoirs et, ce jour-là, tout était pourtant comme d’habitude. Lorsque l’ombre des immeubles s’allongeait à mesure que le soir tombait, envahissant peu à peu le boulevard National où l’on commençait d’allumer les lampadaires, tout le monde regagnait son gîte.
Les habitants se découpaient en noir sur le fond lugubre du ciel, puis les rues se vidaient jusqu’à l’aube. Arrivant à 7 heures, hiver comme été, chaque jour et chaque année pendant presque un demi siècle, Simon enlevait sa veste ou sa jaquette et enfilait un long tablier gris informe qui lui descendait jusqu’aux talons. Son éternel plumeau sous le bras, il scrutait avec une sagacité myope les profondeurs de ses bibliothèques. Ses yeux, derrière les verres brillants des lunettes, avaient en miniature les rondeurs de sa tête. Ils étaient toujours sur le qui-vive comme pour rattraper le temps perdu de ses moments de somnolence. Il marchait, la tête secouée d’un mouvement mécanique et s’avançait vers la première étagère, examinait chaque ouvrage de haut en bas, hochait la tête d’un air connaisseur avant de brandir son arme : le plumeau. Evidemment, il lisait énormément. Toutes les œuvres ne l’avaient pas intéressé, mais il se sentait malgré lui attaché à certaines par un lien secret. Aucun grain de poussière ne souillait jamais « Bon appétit, monsieur lapin ! » dont il avait plusieurs exemplaires et il avait des soins particuliers pour « L’élégance du hérisson », l’une de ses dernières acquisitions qui racontait la vie quotidienne d’une concierge lettrée. Mais les autres ouvrages n’en étaient pas pour autant négligés et la poussière n’avait sur eux aucune emprise. Simon était célibataire. La première fois qu’on le voyait, on le sentait un peu distant et même peu accommodant avec ses clients, comme s’il était contrarié à l’idée de céder un seul de ses livres. Il avait donc mené une vie idéale, seul jour et nuit dans sa librairie comme il devrait désormais le faire dans son appartement.
A quoi rêvait-il jour après jour ?
On a peine à croire que par ses lectures prodigieuses il cherchait le moins du monde à rompre son isolement. Il paraissait au contraire aimer la solitude pour elle-même et il avait une peur constante des intrus comme des clients. Les habitants de la cité Bellevue se désintéressaient complètement de ceux des rues avoisinantes et réciproquement. Ils semblaient engloutis par les ombres des immenses façades et ressemblaient à ces peuples oubliés et qui se rappellent à vous lorsque de pénibles faits-divers les ramènent à la lumière. De toute façon, Simon ne connaissait personne. Il partait tôt le matin et rentrait tard le soir dans son appartement. Il avait vécu toutes ces années comme un automate et il en serait probablement toujours ainsi… La librairie allait être détruite pour laisser la place à un immeuble de bureaux. Il lui était impossible d’imaginer qu’il puisse simplement détruire ou abandonner son fonds littéraire. Aussi, pendant plusieurs mois avant cette date fatidique, Simon avait entassé les collections dans l’appartement qu’il occupait au-dessus du commissariat de la cité Félix Pyat et ses trois pièces avaient rapidement été encombrées. Il utilisait une vieille luge pour tirer ses tombereaux de livres et il essayait d’être le plus discret possible. Personne ne songerait à voler son trésor, mais l’administration judiciaire pourrait considérer comme suspect un citoyen qui possédait autant de livres. N’était-ce pas le signe d’une personnalité perturbée ? Il avait aménagé des galeries étroites pour passer de l’une à l’autre et il était encore capable de retrouver une œuvre même confidentielle dans la grande histoire de la littérature. A force d’entasser, les galeries devinrent des souterrains et l’accès à la salle de bains ou aux toilettes se transforma en expédition. Finalement, Simon dormait dans un hamac qu’il avait suspendu à l’extrémité de la cuisine. Il somnolait, mais il n’avait pas une seule fois laissé échapper le plumeau avec lequel il époussetait régulièrement ses livres.
A SUIVRE...
En recevant la lettre de l’huissier, Simon avait senti son cœur éclater. A cette heure du jour, il n’y avait jamais personne dans sa librairie. Il se renfonça dans son fauteuil, mais fut incapable de lire. Le moment tant redouté était arrivé. Il était expulsé. Tous les autres commerçants et les locataires avaient sans doute reçu le même courrier, mais ils allaient rebondir. Leur vie continuerait d’une manière ou d’une autre. Mais pas la sienne. Cette lettre allait mettre fin à son existence. Il resta prostré toute la journée jusqu’à la nuit. Il entendait monter les voix derrière sa porte, comme si rien n’avait changé. Les anciens avaient l’habitude de s’asseoir devant les seuils, les vieilles d’y faire leurs courses en trainant la jambe et, après l’école, les enfants jouaient sur les trottoirs et, ce jour-là, tout était pourtant comme d’habitude. Lorsque l’ombre des immeubles s’allongeait à mesure que le soir tombait, envahissant peu à peu le boulevard National où l’on commençait d’allumer les lampadaires, tout le monde regagnait son gîte.
Les habitants se découpaient en noir sur le fond lugubre du ciel, puis les rues se vidaient jusqu’à l’aube. Arrivant à 7 heures, hiver comme été, chaque jour et chaque année pendant presque un demi siècle, Simon enlevait sa veste ou sa jaquette et enfilait un long tablier gris informe qui lui descendait jusqu’aux talons. Son éternel plumeau sous le bras, il scrutait avec une sagacité myope les profondeurs de ses bibliothèques. Ses yeux, derrière les verres brillants des lunettes, avaient en miniature les rondeurs de sa tête. Ils étaient toujours sur le qui-vive comme pour rattraper le temps perdu de ses moments de somnolence. Il marchait, la tête secouée d’un mouvement mécanique et s’avançait vers la première étagère, examinait chaque ouvrage de haut en bas, hochait la tête d’un air connaisseur avant de brandir son arme : le plumeau. Evidemment, il lisait énormément. Toutes les œuvres ne l’avaient pas intéressé, mais il se sentait malgré lui attaché à certaines par un lien secret. Aucun grain de poussière ne souillait jamais « Bon appétit, monsieur lapin ! » dont il avait plusieurs exemplaires et il avait des soins particuliers pour « L’élégance du hérisson », l’une de ses dernières acquisitions qui racontait la vie quotidienne d’une concierge lettrée. Mais les autres ouvrages n’en étaient pas pour autant négligés et la poussière n’avait sur eux aucune emprise. Simon était célibataire. La première fois qu’on le voyait, on le sentait un peu distant et même peu accommodant avec ses clients, comme s’il était contrarié à l’idée de céder un seul de ses livres. Il avait donc mené une vie idéale, seul jour et nuit dans sa librairie comme il devrait désormais le faire dans son appartement.
A quoi rêvait-il jour après jour ?
On a peine à croire que par ses lectures prodigieuses il cherchait le moins du monde à rompre son isolement. Il paraissait au contraire aimer la solitude pour elle-même et il avait une peur constante des intrus comme des clients. Les habitants de la cité Bellevue se désintéressaient complètement de ceux des rues avoisinantes et réciproquement. Ils semblaient engloutis par les ombres des immenses façades et ressemblaient à ces peuples oubliés et qui se rappellent à vous lorsque de pénibles faits-divers les ramènent à la lumière. De toute façon, Simon ne connaissait personne. Il partait tôt le matin et rentrait tard le soir dans son appartement. Il avait vécu toutes ces années comme un automate et il en serait probablement toujours ainsi… La librairie allait être détruite pour laisser la place à un immeuble de bureaux. Il lui était impossible d’imaginer qu’il puisse simplement détruire ou abandonner son fonds littéraire. Aussi, pendant plusieurs mois avant cette date fatidique, Simon avait entassé les collections dans l’appartement qu’il occupait au-dessus du commissariat de la cité Félix Pyat et ses trois pièces avaient rapidement été encombrées. Il utilisait une vieille luge pour tirer ses tombereaux de livres et il essayait d’être le plus discret possible. Personne ne songerait à voler son trésor, mais l’administration judiciaire pourrait considérer comme suspect un citoyen qui possédait autant de livres. N’était-ce pas le signe d’une personnalité perturbée ? Il avait aménagé des galeries étroites pour passer de l’une à l’autre et il était encore capable de retrouver une œuvre même confidentielle dans la grande histoire de la littérature. A force d’entasser, les galeries devinrent des souterrains et l’accès à la salle de bains ou aux toilettes se transforma en expédition. Finalement, Simon dormait dans un hamac qu’il avait suspendu à l’extrémité de la cuisine. Il somnolait, mais il n’avait pas une seule fois laissé échapper le plumeau avec lequel il époussetait régulièrement ses livres.
Cela se produisit le jour de la cent trente septième expédition de Simon jusqu’à son domicile. Il arrivait à la lisière de la cité, attendant le meilleur moment pour s’élancer sans être vu en terrain découvert, lorsqu’il aperçut soudain deux frêles silhouettes qui se dirigeaient vers lui. Celles d’une jeune femme accompagnée d’une toute petite fille. Il aurait voulu changer de direction et s’éloigner d’un pas rapide, aussi léger que celui d’un oiseau, mais la minuscule silhouette en robe écarlate se détachait dans un paysage sombre comme un rubis dans un écrin.
A l’horizon s’élevaient les sinistres immeubles de la cité
Bellevue qu’un pouvoir magique semblait avoir soulevés de terre. Même aux plus
beaux jours de l’été, lorsque le reste du ciel était pur, leurs toits
demeuraient cachés dans les nuages. A cet instant pourtant, aucun nuage ne
voilait le ciel au-dessus des toits.
- Où sont les nuages ? ne put s’empêcher de demander
Simon.
- Quels nuages ? s’étonna la jeune femme qui tenait la
petite fille par la main.
Simon n’avait pas découvert sans tristesse que les adultes n’en savent pas nécessairement plus long que les enfants et il se tourna vers la petite fille.
Fuchsia – car c’était son nom – lui tendit une petite pelle
bleue comme un cadeau. Elle considéra Simon avec un sourire si éblouissant
qu’il en fut stupéfait. Un tel bouleversement était-il possible ?
Brusquement, son théâtre d’ombres était mort et il lui devint impossible d’y
retourner. Il ne ressentait plus aucune nostalgie de ce qu’il avait vécu et il
tournait le dos aux rayons de poussière qui dansaient sur les choses
d’autrefois sans éprouver ce sentiment d’irrémédiable désolation. Avec ce
sourire extraordinaire, sa vie était devenue lumineuse. Il regarda autour de
lui d’un air ébahi. Les passants avaient perdu leurs mines accablées et
affichaient une légère et bienheureuse insouciance. Faisant craquer les
jointures de ses longues jambes d’araignée, il tira sa luge et se fraya un
passage à travers les grappes de passants. La rue bruissait de vie. Des
silhouettes formaient des ilots mouvants. Il y avait des gens qui parlaient
dans une langue incompréhensible, d’autres qui chantaient, d’autres qui
n’avaient plus de voix et qui étaient plaqués contre les murs, les mains
pendantes en battant stupidement la mesure. Il ne se souvenait pas d’avoir une
seule fois contemplé ainsi le bonheur des autres. Simon s’imaginait que c’était
du bonheur, mais ce n’était qu’un brouhaha de clameurs et de piétinements de la
foule qui descendait ou remontait de la bouche du métro National. Il avait
l’impression d’observer ces gens pour la première fois. Il n’avait pas la
moindre idée de ce qu’ils faisaient, ni pourquoi ils le faisaient, mais cela
n’avait aucune importance. Par la grâce du sourire d’une petite fille, les couleurs
de la vie avaient changé.
- Pourquoi trainez-vous cette luge ? claironna la jeune
femme qui s’appelait Nasma. Elle portait une robe évasée et elle avait des
petites chaussures rouges et noires. Des chaussures de danse, peut-être
prenait-elle des cours ?
La conversation n’avait jamais été le fort de Simon et,
pendant ce qui parut une éternité à Nasma et Fuchsia, il regarda devant lui
d’un air morne, puis leva une main osseuse et se gratta l’oreille avant de
risquer une remarque :
- Je vais vous dire quelque chose. Vous ne comprenez pas ce
qui se passe à Saint-Mauront ? Les choses qui arrivent ? La
boulangerie, l’épicerie, la boucherie ont disparu…
- Ca fait déjà quelques années, répondit Nasma en le
considérant d’un air perplexe.
- Ca se passe sous nos pieds et on ne s’aperçoit de
rien ?
- Il suffit d’ouvrir les yeux. Tout bouge. Tout change.
- Je n’ai rien vu.
En réalité, pendant toutes ces années, il avait été complètement coupé du monde et de ce qui s’y passait.
- Pourquoi tirez-vous cette luge ? répéta Nasma.
- La librairie est fermée. Je les emporte chez moi.
- Vous les avez tous lus ? Alors, à quoi vont-ils vous
servir ? Vous devriez les donner.
- Tenez, je vous propose celui-ci ! s’écria Simon en lui
tendant un livre d’un geste brusque. Bon appétit, monsieur lapin ! Vous ne l’avez pas lu ? C’est
l’histoire d’un pêcheur et d’un poisson d’or. Il nous explique qu’il ne faut
pas trop demander à la vie !
Vivre avec ce qu’on a et réaliser ce qu’on peut…
- Mais quand on donne, il faut le faire de bon cœur… Je ne voudrais pas vous priver.
- C’est avec plaisir, il
balbutia. Et j’en ai beaucoup d’autres.
Elle le remercia d’un
sourire. Le même que celui de Nasma. Rien de plus naturel, n’est-ce-pas ? Simon se détourna.
C’était bien la première fois qu’il offrait un livre. Il n’avait jamais fait le moindre cadeau à qui que ce soit. Il n’avait rien fait d’autre que débiter quelques formules de politesse et rendre la monnaie à ses clients. Et voilà qu’au cent trente septième aller-retour de la bouquinerie à son appartement, il n’arrêtait plus de papoter avec cette jeune femme et sa petite fille… Incroyable ! Qu’est-ce qui s’était passé ? Il y avait là de quoi lui occuper l’esprit pour les jours à venir. En réalité, ce qui le préoccupait, c’était la question de savoir pourquoi elle avait pris la peine de le remarquer et de s’arrêter devant lui et pourquoi il avait lui-même fait l’effort de bavarder avec une personne qui lui était inconnue. Etait-ce le sourire éclatant de la petite fille ? L’idée lui tournait sans fin dans la tête. Pourquoi elles ? Il était tellement bouleversé par le spectacle de ses étagères dépeuplées qu’il avait éprouvé le besoin irrésistible de communiquer son désarroi à quelqu’un d’autre et c’était tombé sur Nasma et Fuchsia. Etant d’une nature exceptionnellement taciturne, il lui avait été difficile d’échanger ces quelques phrases et il avait été le premier surpris, non seulement d’avoir réussi à décharger son cœur, mais de l’avoir fait avec tant de célérité. Il réalisa soudain qu’il connaissait leurs noms. Pourtant, il ne se souvenait pas les avoir entendus. Il y avait décidément quelque chose de bien mystérieux dans cette rencontre. Il les regarda s’éloigner. La petite avait pris le livre sous son bras et se retournait vers lui en souriant.
C’était bien la première fois qu’il offrait un livre. Il n’avait jamais fait le moindre cadeau à qui que ce soit. Il n’avait rien fait d’autre que débiter quelques formules de politesse et rendre la monnaie à ses clients. Et voilà qu’au cent trente septième aller-retour de la bouquinerie à son appartement, il n’arrêtait plus de papoter avec cette jeune femme et sa petite fille… Incroyable ! Qu’est-ce qui s’était passé ? Il y avait là de quoi lui occuper l’esprit pour les jours à venir. En réalité, ce qui le préoccupait, c’était la question de savoir pourquoi elle avait pris la peine de le remarquer et de s’arrêter devant lui et pourquoi il avait lui-même fait l’effort de bavarder avec une personne qui lui était inconnue. Etait-ce le sourire éclatant de la petite fille ? L’idée lui tournait sans fin dans la tête. Pourquoi elles ? Il était tellement bouleversé par le spectacle de ses étagères dépeuplées qu’il avait éprouvé le besoin irrésistible de communiquer son désarroi à quelqu’un d’autre et c’était tombé sur Nasma et Fuchsia. Etant d’une nature exceptionnellement taciturne, il lui avait été difficile d’échanger ces quelques phrases et il avait été le premier surpris, non seulement d’avoir réussi à décharger son cœur, mais de l’avoir fait avec tant de célérité. Il réalisa soudain qu’il connaissait leurs noms. Pourtant, il ne se souvenait pas les avoir entendus. Il y avait décidément quelque chose de bien mystérieux dans cette rencontre. Il les regarda s’éloigner. La petite avait pris le livre sous son bras et se retournait vers lui en souriant.
Au retour, lorsqu’il s’engagea dans la rue Félix Pyat avec sa luge pour rejoindre le boulevard National, il prit conscience que son humeur avait complètement changée. Encore imprégné de solitude, il avait l’impression que son esprit s’était élargi et laissait déferler un flot d’images et de sentiments étranges, comme dans un déversoir. C’était tout ce qu’il avait emmagasiné pendant sa triste existence qui lui revenait, mais d’une manière plus colorée. Mille détails embellissaient soudain ses souvenirs. C’était une sensation vraiment très agréable. Il en resta si déconcerté qu’il rechargea sa luge, sans même se rendre compte qu’il ne choisissait que des livres pour enfants.
En arrivant chez lui,
Simon était dans un état second. Le sourire de Fuchsia et de sa maman ne le
quittait pas et balayait la grisaille de toutes ces années. Il se sentait
soulevé par un espoir démesuré, comme une vague qui l’emportait vers un nouveau
rivage. C’était enivrant. En apparence rien n’avait changé et il était toujours
dans son appartement de la cité Bellevue, mais la monotonie des choses s’était
dissipée et tout lui paraissait nouveau. Il y avait bien longtemps qu’il
n’avait pas éprouvé un tel bien être ni une telle espérance. C’était même du
temps de sa jeunesse. Il y avait de cela presque un demi-siècle. C’était si
loin ! A force de fixer son attention sur son passé, il devina vaguement
les contours d’un visage, puis il fut stupéfait de reconnaître la physionomie
de Valérie, l’unique amour de son adolescence. Il avait enfoui en lui si
profondément cette image qu’il l’avait oubliée. Voilà que la présence magique
de Nasma et de Fuchsia la faisait réapparaître. Par quel miracle ? Tout à
coup, une idée l’effleura : bon sang, il n’était pas en train de tomber
amoureux de cette jeune femme croisée dans la rue ? Cette pensée lui
sembla ridicule. A son âge ! Il se voyait comme Harpagon devant la belle
Marianne. Non, il n’éprouvait pas ce genre de désir et c’était d’abord le
sourire de la petite qui l’avait subjugué. C’était donc un plaisir et un
bonheur purement cérébral.
En rangeant ses livres, le regard de Simon se posa sur une vieille figurine désarticulée et recouverte d’un grand chapeau. Ce petit personnage avait été le compagnon de jeu de son enfance. Un jour, il l’avait assis sur le bord d’une étagère et il l’avait abandonné.Il l’époussetait machinalement, mais il ne le voyait plus. Et c’était sans doute Fuchsia qui le ramenait ce soir-là à son enfance et c’était encore elle et sa maman qui redonnaient du sens à tout ce qu’il avait vécu. Tout cela n’avait pas existé en vain. Il avait conscience que cette rencontre était pour lui comme un cadeau.
En rangeant ses livres, le regard de Simon se posa sur une vieille figurine désarticulée et recouverte d’un grand chapeau. Ce petit personnage avait été le compagnon de jeu de son enfance. Un jour, il l’avait assis sur le bord d’une étagère et il l’avait abandonné.Il l’époussetait machinalement, mais il ne le voyait plus. Et c’était sans doute Fuchsia qui le ramenait ce soir-là à son enfance et c’était encore elle et sa maman qui redonnaient du sens à tout ce qu’il avait vécu. Tout cela n’avait pas existé en vain. Il avait conscience que cette rencontre était pour lui comme un cadeau.
Cette nuit-là, Simon
mit de l’ordre dans son appartement et aménagea un espace lecture pour les
enfants. Il ne doutait pas que les souterrains qu’il avait agencés seraient
pour eux comme un formidable terrain de jeu et d’aventure. Il les consolida et
ajouta quelques recoins et quelques cachettes pour rendre leurs périples dans
son labyrinthe plus attrayants.
Il réalisait soudain que c’est dans son
appartement qu’il était seul. Seul et loin de tout. Pas au dehors ne dans sa
boutique. Dans la rue, il y a les gens, des chats et des chiens, des pigeons et
des rats, et des goélands viennent parfois jusqu’à la cité. Dans sa librairie,
il y avait les livres, tout un petit peuple qui allait et venait. Certains
personnages devenaient familiers, presque des amis. D’autres n’étaient que des
vagues connaissances, voire des étrangers. Il n’avait jamais vraiment quitté
ses livres. A la dernière page, la solitude de la lecture s’émiette. C’est
pénible de finir un livre et on cherche tout de suite quoi lire encore. C’est
toujours une séparation. Un autre personnage vous attend et parfois on a envie
de retrouver celui qu’on n’a plus croisé depuis longtemps. Ca fait plaisir. Et
on sait qu’on va se revoir, même si on se perd de vue. Lire, c’était la seule
chose qui avait peuplé la vie de Simon et qui l’enchantait. Et malgré la
fermeture de sa boutique, il savait que c’était aussi ce qu’il avait envie de
partager. Avec Nasma, avec Fuchsia et avec tous les autres. Il n’allait quand
même pas garder ses livres pour lui. Il avait la boutique pour se cacher pour
lire. A présent, il n’avait plus que son appartement au-dessus du commissariat.
Il allait devenir la maison des livres, la maison des autres, la maison de tous
ceux qui voudraient vagabonder ou s’arrêter à l’intérieur d’un livre. Finalement,
son expulsion était une chance.
Les jours suivants,
Simon améliora ses rangements et classa ses livres par thèmes, auteurs et
œuvres. Il annexa le palier, puis les escaliers. Ses voisins eurent d’abord un
mouvement de méfiance, mais sa bonne humeur était contagieuse et ils
acceptèrent d’accueillir chez eux quelques étagères. Simon ne se faisait pas
d’illusion, ils n’allaient pas ouvrir les livres tout de suite, mais ils
étaient dans la place et la curiosité finirait bien par l’emporter. Il faut un
commencement à tout. Mais attention, il y a des livres illisibles, des livres
qu’on abandonne, dont on oublie même les titres. Ce n’est pas grave. Parfois,
il faut attendre avant d’ouvrir un livre. Ou bien c’est trop tard. Ou
simplement, ce n’est pas le moment. En observant ses clients, Simon devinait
quelle œuvre, quel auteur ou quel personnage leur convenait. Il savait qu’il ne
s’était pas trompé en proposant à Nasma et Fuchsia « L’élégance du
hérisson » et « Bon appétit, Monsieur lapin ! ». Pour
elles, c’était le bon moment.
Pendant ces journées passées à mettre de l’ordre dans son appartement, il n’avait jamais cessé de guetter la jeune femme et sa petite fille. Il aurait bondi dehors à leur rencontre, mais c’était toujours trop tard. Une fois, il les aperçut au loin qui traversaient la rue. Nasma poussait un landau. Fuchsia avait donc un petit frère ou une petite sœur ? Un petit frère. Curieusement, Simon connaissait même son prénom : Angelo. Il avait dix-huit mois. Pourquoi ce prénom ? Son papa était peut être italien ? Il était effectivement italien. Simon ignorait pourquoi et comment, mais il le savait. Il connaissait d’ailleurs pas mal de détails sur cette petite famille. Le père avait laissé Nasma avec ses deux enfants et il était parti chercher du travail. Il n’avait pas donné de nouvelles depuis plusieurs mois et les journées de Nasma étaient rythmées par les allers-retours de l’école et par les tétées d’Angelo. C’était une jeune femme courageuse. C’était peut être ce qui avait attiré l’attention de Simon. L’émotion qu’il avait senti grandir en lui avait fait le reste. Nasma, Fuchsia et Angelo envahirent bientôt toutes ses pensées. C’est grâce à eux et pour eux qu’il avait transformé son appartement en lieu de vie. Il imaginait à présent un espace d’échange et d’apprentissage, un service de prêt à un tarif dérisoire et une rotation suffisante pour assurer le salaire de Nasma.
Une chose étrange se produisit dans la population. Tous les habitants ne lisaient pas, mais tous avaient été impressionnés par l’attitude édifiante de Simon et tous guettaient avec impatience ce qui pourrait advenir. Certains doutaient encore de cette surprenante générosité et ils s’imaginaient qu’elle dissimulait une roublardise quelconque qui finirait bien par éclater au grand jour. Ils n’osaient pas grimper les escaliers ni franchir la porte de l’appartement, mais ils défilaient sans cesse devant ses fenêtres. Ils étaient obligés d’admettre que tous les visiteurs affichaient des sourires rayonnants et qu’ils étaient chaque jour de plus en plus nombreux, débordant dans les étages supérieurs et jusque dans la rue. L’immeuble semblait distiller de la joie et devenait le centre de la cité. Le commissaire lui-même s’en inquiéta. Que signifiaient ce manège des résidents et ces attroupements ? C’était probablement le signe d’une nouvelle forme de trafic… Il vint en voisin contrôler la légitimité de l’entreprise. Il fut presque déçu. Il n’y avait rien de répréhensible et il ne comprenait pas ce qui pouvait expliquer un tel changement chez les habitants. Il y a évidemment quelqu’un derrière cette histoire. Ou quelque chose de surnaturel. C’était Simon, tout le monde le savait et le désignait. Il est arrivé simplement au bon moment comme un ange descendu du ciel. Le libraire protestait. Il n’a rien fait de si extraordinaire, il a juste croisé le sourire de Fuchsia. Tout le reste s’est fait naturellement. S’il existait un ange, c’est Fuchsia. Dans cette ambiance de bonne humeur le regard se fait plus indulgent et quelque chose poussait les gens les uns vers les autres : une envie inédite d’être ensemble et de mettre en commun leurs compétences et leurs expériences sans l’intervention de l’argent. Un groupe de femmes investit un terrain vague pour le transformer en potager ouvert à tous, un jardin partagé pour permettre aux familles de se rencontrer.
D’autres deviennent coiffeuses à domicile, aides ménagères,
cuisinières. Les hommes s’offrent comme plombiers, maçons, mécaniciens ou
jardiniers. Le principe est celui du troc, de l’échange de service et du don de
soi. Des fêtes s’improvisaient en soirée devant les immeubles. Les locataires
descendaient des tables et des chaises, leurs instruments de musique, et chacun
apportait ses spécialités culinaires. A Saint-Mauront, un autre état d’esprit était
en train de naître. On aurait dit que la paix était revenue entre les
communautés et que le repli sur soi appartenait définitivement au passé. Un
sourire écarlate, tout est là, pensait Simon. C’est le principe essentiel d’où
rayonnent les belles idées. Il suffit d’une étincelle. Des étincelles, c’est
d’ailleurs ce qu’aperçoit Simon par-dessus les toits. Ou des éclairs. Ou des
flammes. Elles se mettent à danser. Est-ce le soleil qui éclabousse de sang les
façades des immeubles ? Soudain, il ne troue que par intermittence le
labyrinthe des nuages qui flottent au vent comme du linge mouillé. Quand Simon
lisait, chaque fois qu’il arrivait en bas de la page de droite, ses yeux
faisaient tendrement le tour de ses lecteurs. Il était comme une sentinelle qui
montait la garde pour leur sécurité. Et justement, des banderoles de fumées
l’intriguaient. Il avait aussi l’impression qu’il y avait une certaine
agitation et, qu’au loin, des silhouettes faisaient de grands gestes comme pour
attirer son attention. Il se mit à scruter tout autour de lui pour essayer de
localiser la source de ces volutes de plus en plus épaisses. Il sentit des
picotements dans la gorge et fronça les narines pour humer l’air. Une lueur
d’inquiétude passa sur le beau visage de Nasma. La petite bouche de Fuchsia
était grande ouverte. La fumée piquante faisait larmoyer ses yeux, mais elle
restait immobile, comme tous les autres lecteurs.
Simon se mordit la lèvre inférieure comme s’il méditait sur
un problème abstrait. Il devait se contrôler s’il voulait essayer d’organiser
les choses. L’espace fut brusquement éclairé par une langue de feu qui jaillit
au milieu des livres, se retirant presque aussitôt pour ressurgir ailleurs en
léchant les reliures. Des flammes s’élancèrent en spirales, balançant à droite
et à gauche leurs têtes écarlates. Des myriades de tentacules grésillantes
s’enroulèrent autour des rayonnages tandis que les titres des volumes brillaient
d’une gloire éphémère. Nasma serrait Fuchsia dans ses bras, fascinée par les
livres qui dansaient dans la lumière rouge. Elles essayaient de s’empêcher de
crier, mais la terreur fut la plus forte.
C’est en entendant leurs cris que Simon s’est réveillé. Il
était assis dans sa librairie aux bibliothèques presque vides. Il s’était juste
endormi en faisant le tri de ses livres. Il était désolé que son rêve se soit
brusquement dissipé sous la forme d’un cauchemar. C’est ainsi qu’il se
terminait presque chaque soir, mais pour une fois il entendait gratter sur le
montant de sa vitrine. Il se lève, tire les verrous et ouvre la porte. Une
jeune femme tenait une petite fille par la main. Elles affichaient toutes les
deux un joli sourire écarlate.
J’ai vu de la lumière, dit Nasma en guise d’excuse. Je
voudrais un livre pour ma fille ; Elle s’appelle Fuchsia et elle va avoir
quatre ans.
FIN...
Un conte inspiré à Dominique Cier par les discussions et les sorties avec les mamans et leurs enfants de la MPT Panier - Joliette, Dominique Leca (référente familles) et Anna Pauchet (artiste associée aux projets menés par le groupe famille de cette Maison Pour Tous notamment).
BALADE REPÉRAGE À SAINT-MAURONT LE 31 MARS 2015
Au cours de ce cheminement nous avons pris le temps de repérer le théâtre des événements et de l'histoire dont nous sommes les auteurs, les petits comme les grands ! Une manière d'allier les sens à l'imaginaire et de poursuivre cette aventure...
Départ de cette balade à la sortie du métro National... |
D'AVRIL A JUILLET 2015 : PLUSIEURS ATELIERS POUR IMAGINER UNE BALADE PATRIMONIALE ET COLLABORATIVE SUR SAINT-MAURONT
En italique avec le concours de plusieurs membres de la Coordination Patrimoines et Créations des 2-3e a imaginé au fil de l'année une balade sur et dans le quartier de Saint Mauront... Cette balade qui mêle l'histoire à la fiction, sera programmée lors des prochaines journées européennes du patrimoine 2015 les 19 et 20 septembre !
Il est possible de participer à cette écriture, aux prises de vues photographique, à la mise en page du journal de la balade qui sera diffusé en septembre comme à son animation lors des JEP 2015...
Programme
des 3 ateliers pour l'animation de cette balade patrimoniale sur
Saint-Mauront :
- Mardi 7 avril,
- Jeudi 14 mai,
- Lundi 6 juillet,
- Mardi 7 avril,
- Jeudi 14 mai,
- Lundi 6 juillet,
Au programme, la balade à animer lors des Journées européennes
du patrimoine 2015 et la réalisation d’un
journal qui sera produit dans le cadre de Quartiers Libres 2015 que nous
diffuserons en septembre.
INFORMATIONS ET INSCRIPTION : contact@enitalique.fr TEL. 06 25 31 14 94
Le programme du 7 avril, rdv à 10h à la sortie du Métro, Station National :
- un repérage in-situ à Saint - Mauront, une discussion autour des stations que nous avons pressenties et des prises de vues, venez avec votre appareil photo ou votre smart phone...
Le programme du 14 mai RDV à 14h devant la Mairie du 2e secteur (face à la cathédrale de la Major) :
- dans l'esprit d'un comité de rédaction, nous dédierons cette séance à l’écriture des textes (légendes des clichés, récits, descriptions, poésies, entretiens, dialogues, nouvelles...) textes que nous associerons aux photographies. A côté de l'angle choisi nous échangerons sur nos besoins, iconographiques, historiques, etc. dans la presse, les magazines... Dans cette optique d'ailleurs je vous proposerai de nous retrouver à la Bibliothèque départementale dans la salle d'actualité.
Lieu en cours de définition...
Le programme du 6 juillet à 14h :
- en fonction des besoins nous nous répartirons le travail qui reste à faire: prises de vues photo, écriture de texte et la mise en page du journal de la balade.
Rdv dans la salle d'actualité (mezzanine) de la Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône.
PHOTOGRAPHIES DU TRAJET IMAGINÉ PAR LE GROUPE COMPOSÉ POUR LA BALADE PROPOSÉE A TOUS PUBLICS LORS DES JOURNÉES EUROPÉENNES DU PATRIMOINE 2015 - PHOTOGRAPHIES DE DRISS AROUSSI SÉLECTION COMPLÉTÉE DES CLICHÉS DE FRANCIS ET LILIANNE MEMBRES DE LA COORDINATION PATRIMOINES ET CRÉATIONS DU 2e ET DU 3e ARRONDISSEMENT DE MARSEILLE
Pendant l'année 2015, plusieurs séances pour inventer une balade et un
journal diponible dés le début du mois de septembre 2015 à la Mairie du 2e secteur (2, place de la Major, 13002) et à la Maison Pour Tous Panier - Joliette (66 rue de l'Evêché, 13002).
Le 7 avril nous avons repéré à Saint-Mauront les stations et imaginé un trajet précis, discussions autour des stations pressenties et prises de vues photo.
Le 14 mai, dans l'esprit d'un comité de rédaction, nous avons dédié cette séance à l'écriture des textes que nous associerons aux images prises : légendes, récits, nouvelles, témoignages ou entretiens, descriptions, journal de bord... A côté de l'angle choisi nous avons échangé sur nos besoins, historiques, iconographiques, sur les personnalités du quartier à rencontrer...
Le 6 juillet sur la mezzanine de la Salle d'Actualité de la Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône nous avons finalisé le trajet, la mise en page du journal, ainsi que les diverses rencontres qui rythmeront la balade.
Depuis
le mois de novembre 2014 jusqu'au mois de juillet 2015, un atelier a
été mené avec un groupe de jeunes mamans et leurs enfants de la Maison
Pour Tous Panier-Joliette pour imaginer un conte qui se déroule à
Saint - Mauront dont l'inspiration a été rythmée par nos rdv puis sa
diffusion sur ce blog...
POUR TÉLÉCHARGER CE CONTE COMME LES AUTRES JOURNAUX DE QUARTIERS LIBRES 2013-2014-2015 SUIVEZ CE LIEN
MÉMOIRES EN DEVENIR - Rencontres Méditerranéennes les 2, 3, 4 juillet 2015
En italique, Driss Aroussi, Dominique Cier étaient associés à la fin de l'action recherche initiée (il y a 18 mois) par Transverscité sur et avec la Coordination Patrimoines et Créations des 2-3e, lors des 2, 3 et 4 juillet 2015, suivez ce lien pour plus d'informations.
La notion de patrimoine, à sa simple évocation, semble inscrire ce qu’elle qualifie dans une sorte de constance et de permanence transhistorique et culturelle. Pourtant, ce sentiment d’immuabilité des faits, des savoirs et des objets qu’inspire le patrimoine, résiste assez mal à l’ensemble des processus de patrimonialisation dont sa construction procède aujourd’hui. Ces journées seront l’occasion de découvrir et d’interroger des expérimentations patrimoniales actuellement en cours dans l’espace méditerranéen, monde fragmenté, véritable chaos des mémoires et des histoires, que ces initiatives, processus de patrimonialisation transversaux et hétérogènes, signalent malgré tout comme le territoire et l’écologie d’un devenir patrimonial commun. Elles donneront un aperçu des manières et des modes concrets selon lesquels se construit aujourd’hui le patrimoine dans l’espace méditerranéen.
La notion de patrimoine, à sa simple évocation, semble inscrire ce qu’elle qualifie dans une sorte de constance et de permanence transhistorique et culturelle. Pourtant, ce sentiment d’immuabilité des faits, des savoirs et des objets qu’inspire le patrimoine, résiste assez mal à l’ensemble des processus de patrimonialisation dont sa construction procède aujourd’hui. Ces journées seront l’occasion de découvrir et d’interroger des expérimentations patrimoniales actuellement en cours dans l’espace méditerranéen, monde fragmenté, véritable chaos des mémoires et des histoires, que ces initiatives, processus de patrimonialisation transversaux et hétérogènes, signalent malgré tout comme le territoire et l’écologie d’un devenir patrimonial commun. Elles donneront un aperçu des manières et des modes concrets selon lesquels se construit aujourd’hui le patrimoine dans l’espace méditerranéen.
Gilles Suzanne
Plusieurs séances sur la BD Reportage pour découvrir ce genre hybride entre la photographie, le dessin et la BD, apprendre à manipuler ses outils, être accompagné dans l'élaboration d'une planche dessinée pour partager son point de vue sur le quartier de Saint-Mauront, sur ses passions, sur sa famille, etc.
Thème n°1 = La BD Reportage une autre manière de s'exprimer.
Thème n°2 = La BD Reportage et les déplacements.
Thème n°3 = La BD Reportage et l'aventure du quotidien.
Penchons nous sur ce qui nous occupe au quotidien au sens propre pour se mettre en situation et en scène, avec des gestes simples (croiser un inconnu dans la rue comme Duane Michals avec "Chance Meeting" en 1972), des moments banals (lutter en vain contre un souffle comme Jeff Wall avec "Coup de vent soudain" en 1993) qui sont riches de sens et ne demandent qu'à être partagés...
Cet atelier intergénérationnel souligne le caractère hybride de la BD-Reportage à la frontière de plusieurs genres et de domaines artistiques ainsi que son potentiel expressif et son caractère contemporain via les "nouvelles" liaisons entre les textes (entretiens, informations diverses sur une question de société par exemple, témoignages, journal de voyage, journal de bord, journal intime, etc.) et les images qu’il mêle (photos, dessins, schémas, logos, etc).
Ces ateliers se sont déroulé au sein de la Salle d'Actualité de la Bibliothèque départementale, partenaire de Quartiers Libres 2015.
Regardez Quartiers Libres 2016 pour découvrir les créations des participants de cet atelier sur la BD-Reportage...
WE "Machines" à la Friche novembre 2015 |
En italique animera le 21 novembre 2015 une visite de l’œuvre "Space Odyssey" d'Etienne Rey, puis une balade nommée "Lumières" à partir de 17h, départ à
l'accueil 2 :
1- Rue / Niveau 2 (ex-rue Antonin Artaud).
2- Autour du Playground de la Friche.
3- A
l'entrée de la Friche, rue Jobin, autour de l'abribus.
4- Devant le Centre de Conservation et de Ressources du MuCEM (angle rue jobin et
Clovis Hugues).
Cette
balade est placée sous le signe de la photographie et du jeu, les participants dessineront (avec la lumière, Light drawing) plusieurs objets ou situations historiques
représentatives de différentes époques de la Friche comme du quartier de la
Belle de Mai...
L'association
En italique vous invite à participer à une balade sur la Friche et son
environnement proche. Nous parlerons de son histoire depuis sa création, de ses
acteurs aujourd'hui et hier comme des habitants de la Belle de Mai lors du développement
du quartier. Imaginée sous le prisme de la lumière au pluriel cette balade sera
participative et inaugure un programme de situations culturelles qui sont
seront ouvertes à toutes et à tous au cours de l’année à venir avec Quartiers Libres 2016 !
Au seuil de Space Odyssey... |
Une œuvre immersive aux qualités sensorielles |
Atelier de Light Drawing pendant la Balade Lumières |