EN 2014

DU MONUMENT OFFICIEL A LA MAISON D'À CÔTÉ
La Belle de Mai – Les Friches

Le MARDI 20 JANVIER 2015 (de 14h à 17h) nous avons inauguré l’exposition de Quartiers Libres 2014 au Centre de Conservation et de Ressources du MuCEM qui est situé 1 rue Clovis Hugues dans le quartier de la Belle de mai. Les créations des artistes associés seront visibles jusqu'à la fin du mois de janvier 2015 depuis la cour du CCR.
Accès / Bus : 49 ou 52 arrêts rue Jobin ou rue Clovis Hugues





En 2014 Quartiers Libres a bénéficié d’un partenariat avec le Centre de Conservation et de Ressources du MuCEM. Driss Aroussi, plasticien et Dominique Cier, en tant qu’écrivain se sont inspirés des collections qui sont dans les réserves du CCR, pour imaginer les images et les textes qui composent l'exposition inaugurée le mardi 20 janvier. Depuis cette date les journaux créés au fil des ateliers sont disponibles à l’accueil du CCR. Le mardi 20 janvier il fallait venir avec sa carte d'identité pour profiter d’une visite inédite des Réserves du CCR. 
Driss Aroussi & Dominique Cier

Le progrès et la tradition

Le  progrès et la tradition ne s’opposent pas. Nous naviguons sans cesse entre ces deux rives de notre existence. L’une représente notre avenir, l’autre ce que nous sommes. Immergés dans un monde qui se transforme sans cesse, nous avons besoin de nous rassurer en explorant notre passé plus ou moins récent.
 


On ne peut pas tout retenir de cette remontée dans le temps, mais ce serait une erreur de la réduire à une simple nostalgie. Elle a l’avantage de nous relier les uns aux autres et de nous enraciner à notre petite échelle dans l’histoire de l’humanité. C’est à partir du travail humain que cette investigation prend tout son sens.

Elle se matérialise le plus souvent dans une mise en scène de machines et d’outils, scénographiquement bien disposés, comme une sorte de chorégraphie folklorique d’objets qui sentent encore la main de l’homme et que la science et l’évolution technologique ont prématurément démodés. Ces animations sont le témoignage d’une époque où la vie semblait s’écouler à la vitesse naturelle des battements du cœur. La sobriété des dispositifs et des pratiques préservait le génie de la mise en œuvre de la matière brute. On y devine encore l’intelligence et la beauté du geste simple, authentique et efficace, ce même geste que perpétuent aujourd’hui les hommes qui forgent de leurs mains les choses de la vie, à la bonne mesure de leur temps.

Dominique Cier


Photographie de la collection de Charles Jansana
Populaire, l'identité de la Belle de Mai s'est construite sur l'apport culturel issu des vagues progressives de populations immigrées : italienne, polonaise ou espagnole, elle est aujourd'hui principalement d'origine algérienne et comorienne. La Belle de Mai a connu plusieurs transformations, lieu de villégiature des notables marseillais au début du XIXe siècle, le quartier devient presque exclusivement ouvrier avec l’installation des usines de raffinement de sucre et d'allumettes, Manufacture de tabacs. 
 
L'ancienne manufacture des tabacs réhabilitée.
Aujourd’hui ce quartier populaire cumule les handicaps économiques et sociaux (40% de chômage, 75 % de ménage non imposable), un sentiment d’abandon y persiste. En 1994, la Ville de Marseille achète une partie de la manufacture, pour la transformer en un pôle patrimonial à côté des Archives s’installent entre autres le CICRP (Centre interrégional de conservation et restauration du patrimoine) et le Fonds communal. Dans le cadre du projet Euroméditerranée a été créé un studio de cinéma et de télévision dans lequel sont tournés les épisodes du feuilleton de France 3, « Plus belle la vie ». 

Point de vue sur le bar de la Gaité.
La réputation de ce quartier n’est ni à valeur patrimoniale, ni synonyme de divertissement. La Friche en constitue l’enclave à connotation artistique et culturelle elle prend le pas sur la visibilité de ce quartier au-delà même du territoire marseillais. A partir d’un éloge du quotidien nous souhaitons découvrir des endroits insolites, empreint d’une esthétique ou d’une poésie insoupçonnées et valoriser l’histoire de la Belle de Mai, ses figures historiques, artistiques, culturelles, de César à Clovis Hugues, ainsi que des anciennes manufactures de tabacs, du comptoir aux épices (Comptoir de la Victorine) et de leurs réhabilitations en pôles culturels. 


En 2014 Quartiers Libres souhaite investir les lieux de rencontres et les espaces de convivialités qui s’improvisent malgré le découpage urbain communautaire qui divise ce quartier de l’hyper centre marseillais. 
A partir des histoires de La Belle de Mai, du monument officiel à la maison d’à côté nous souhaitons donner une forme aux mythes de ce quartier :
- partir à la rencontre de ses figures historiques, César, Clovis Hughes, Francis le belge, René Mazzarino (Massilia Sound System), etc. ainsi que ses personnalités et ses habitants actuels ; 
- réinterpréter ces histoires, avec le concours d'habitants, de comédiens, de plasticiens, 
- prolonger ces récits à la suite de balades, à l'aide de rencontres, partir d'un travail d'observation, sur une place, dans un commerce, chez l’habitant, dans les coulisses d’un théâtre, dans le petit train pour touristes…

crédit photo Driss Aroussi
Au fil de l'année 2014 Driss Aroussi, plasticien et Dominique Cier, en tant qu'écrivain ont animé plusieurs ateliers d'expression à l'attention de groupes constitués avec le concours de partenaires socioculturels et de leurs formateurs. 

Selon les groupes, diverses thématiques se sont dégagées et que nous avons souvent développées en cheminant dans le quartier, citons quelques pistes exploitées :

1) Les biographies fidèles aux parcours des personnages choisis, Loubon, Cadenat et Hughes... 

2) Ou totalement fictives...  Les parcours, imaginés ou pas, d'une figure de ce quartie se traduisent aussi par plusieurs images représentatives de ce parcours de vie.
C'est de cette manière qu'est née l'histoire de Bella et Cadenat, qui ressemble au mythe de Gyptis et Protis.

3) Entre ces deux premières pistes, les désirs de se pencher sur l'histoire de la Belle de mai, pour imaginer "comment c'était..." citons les situations houleuses vécues par les cigaretteuses de la Manufacture des Tabacs pendant les grèves.

4) Les entretiens, avec Alain Moreau, Serge Pizzo, Alfons Alt, et les habitants rencontrés au hasard des trajets et des sourires échangés.

5) Les instantanés : les situations de vie observées avec attention dans le quartier qui se traduisent par une écriture sensible et patiente et qui manifestent la sensibilité comme le talent des stagiaires sollicités qui s'improvisent auteur !

6) Les balades ou les dérives qui dessinent une nouvelle carte du quartier lorsque l'on prend du recul sur les trajets effectués, à l'aide des souvenirs, des anecdotes sur les rencontres effectuées jusqu’à ce qu'un récit finisse par prendre forme. 

Concrètement, c'est avec plusieurs groupes de stagiaires issus de différentes structures sociales : le CIERES, Sud Formation, Adelies, la Coordination Patrimoines et Créations des 2-3e arrondissement, la Maison Pour Tous Panier - Joliette, que Quartiers Libres 2014 s'est développé. Chaque atelier s'est finalisé par la création d’un journal inédit qui met l’accent sur le quartier de la Belle de mai, parfois par un genre précis, littéraire ou photographique.

Au sujet de Quartiers Libres, extrait d'une conversation avec une formatrice, il offrait la possibilité à nos stagiaires d’appréhender la culture de manière différente et surtout de sortir des représentations habituelles qu’elle génère. Pendant près d’un an, nous avons travaillé à partir des rencontres avec Dominique et Driss Arroussi, elles ont été l’occasion d’échanges et ont suscité des envies d’écriture chez nos stagiaires. Elles ont facilité un travail plus imaginatif et créatif et ont permis de lier travail et plaisir.  

Certains stagiaires se sont penchés sur ce qui se niche derrière les soulèvements populaires, des hommes et des femmes qui unissent leurs forces et leurs revendications.

Tout commence chez Sophie, cigaretteuse dans la manufacture de Tabac... Maria, Sophie, Sergio et Mohamed sont réunis chez Sophie pour organiser la grève.
Mohamed : « Ça ne peut plus durer ! On n’est plus au temps de l’esclavage ! Le patron n’a pas le droit de faire ce qu’il veut. Il faut organiser la grève au plus tôt et barrer l’accès à l’usine »
Sophie propose à ce moment-là un café.
Sergio : «  Ton café est délicieux »
Sophie : « Merci »
Mohamed : «Il faut mettre les choses au point, parler des salaires, des cadences et des pauses… Il y a des lois, le patron doit les respecter  »
Sophie : «D’accord, on va parler aux autres… »
Maria : « Il faut que chacun parle à son équipe pour la convaincre… Il faut être les plus nombreux possible…»
Mohamed : «Oui, l’union fera notre force»
Sergio : «  Est-ce que l’on fixe la date maintenant » :
Maria : «Non, il faut d’abord expliquer et convaincre »
Mohamed : « Oui c’est sûr, il va falloir les mettre en confiance »
Sophie : «  Dans notre poche ! »
Maria : « Ce n’est pas comme cela qu’il faut dire les choses. C’est aussi pour eux qu’on se bat. »
Sophie : «Tu as raison. Il faut leur expliquer que c’est dans leur intérêt qu’on organise cette grève. C’est pour nous tous. »
Sergio : « Et soyez discrets. Faites attention à qui vous parlez, sinon notre plan risque de tomber à l’eau »
Mohamed : «  Oui c’est vrai ! Pour ma part, dans mon équipe, je pense qu’ils sont tous d’accord »
Maria « Dans la mienne, il y en a qui vont avoir peur de suivre le mouvement… Il suffit que le contremaître les menace et c’est foutu !»
Sophie: « Sans compter qu’il y a des traitres dans l’usine qui espionnent pour les patrons »
Mohamed : « C’est pourquoi il faut les prendre par surprise… »
Maria: « J’ai du matériel chez moi pour barrer l’accès de l’usine»
Sergio : «Il faudra y aller super tôt, avant la relève des équipes… »
Sophie : « Nous devons bien nous préparer et fixer une date. »
Sergio : « Il faut chercher des volontaires dignes de confiance… »
Maria : « Je m’occupe des banderoles et des slogans… »
Sergio : « quatre thèmes : le respect de la loi, les salaires, les cadences et les pauses… »

La Belle de mai comme un fil conducteur des ateliers ou un embrayeur à fictions...
C’est dans les anciennes manufactures de tabacs, de sucre ou allumettes que l’histoire de la Belle de mai s’est développée, c’est aussi certainement à partir de ses activités que ses modes de circulations comme ses usages se sont organisés avec ses espaces de sociabilité. Force est constater que c’est aujourd’hui « un quartier vidé de ses ouvrier » qui conserve ses anciennes manufactures réhabilitées. La présence de ces constructions jalonne les espaces, elles  rappellent  comment les rues, les places, les habitations se sont organisées à partir d’elles. Échappant à toute planification urbaine, pas de cours, pas de grande place, ni de promenade... C’est à partir de cet arrière plan que les ateliers de Quartiers Libres se sont inspirés, tout d’abord à partir d’espaces précis puis progressivement sous l’angle de la fiction et du conte...
 
crédit photo Driss Aroussi
crédit photo Driss Aroussi
Au cours de l'année et dans la perspective des Journées Européennes du patrimoine 2014, Dominique Cier et Driss Aroussi ont imaginé puis animé une balade sur le travail et le non travail.


Extraits de la balade de Dominique Cier sur le contexte historique...
Jusqu’en 1830, c’est encore la campagne, avec ses champs et ses vignes. En été, il n’y a guère que six cents âmes. Les Marseillais de la ville viennent y rechercher la tranquillité. Les bourgeois y goûtent aux plaisirs de la bastide... Mais dès la fin des années 1830, les fabriques ont commencé à s’installer. C’est la Belle de mai, quartier le plus proche du centre le la ville, qui se développe le plus rapidement. Le boulevard d’Orléans (aujourd’hui National) est tracé entre 1830 et 1847 sous la monarchie de juillet, pour favoriser la liaison avec le port. L’année 1847 marque le début d’une transformation profonde. C’est l’ouverture de la fabrique d’allumettes de Jean Toussaint Caussemille. Suivent l’inauguration de la gare Saint Charles (1848), la construction de la caserne St Charles (aujourd’hui caserne du Muy, 1860-1863), l’installation des raffineries de sucre de la Méditerranée à la rue Loubon (1866), l’ouverture des établissements Toy-Riont, spécialisés dans la margarine et les corps gras alimentaires, boulevard Bonhomme (1867), le transfert de la manufacture de tabac de la rue Sainte à la rue Guibal, sur une vaste propriété plantée de pins et d’oliviers (1868), la création de l’usine de produits chimiques Legré, rue Levat (1870) et celle de la raffinerie de sucre Saint Charles, rue Jobin (1872). De 1860 à 1875, la population passe de 5000 à 16000 habitants...  

Au début du mois de janvier 2015, un groupe du CIERES a découvert une petite partie des collections qui sont dans les réserves du CCR. En passant d'un objet à l'autre, d'une collection à une autre, c'est une histoire qui se dessine qui sera développée par la suite et peut-être même confiée à un autre groupe...





Quartiers Libres a bénéficié d’un partenariat avec le Centre de Conservation et de Ressources du MuCEM. C'est dans ce cadre que Driss Aroussi et Dominique Cier se sont inspirés des objets conservés dans les diverses collections ainsi que de leurs anciens usages dont ils portent encore les traces...






Depuis le 20 janvier 2015 les journaux représentatifs des ateliers et des actions menées au fil de l'année 2014 sont disponibles à l'accueil du CCR et prochainement en ligne sur le site du MuCEM.